La plongée souterraine.
Un petit monde à part, très discret, peuplé d'êtres bizarres qui s'enfoncent, chargés d'une énorme masse de matériel, dans les entrailles de la terre pour y plonger... Qui sont les plongeurs spéléos, quelle est donc cette étrange discipline, à la fois aventure risquée, exploit médiatisé, performance sportive, dépassement de soi ?
Une
étude complète sur ce milieu très fermé, qui
regroupe les meilleurs plongeurs Tech de la planète.
En peu d'années, la plongée souterraine a changé d'image. Elle est devenue, ou plutôt elle est maintenant reconnue, comme une activité très technique et responsable. Pourtant, naguère, l'image de l'aspect "catastrophe" transmise par les films grand public attirait les plongeurs avides de sensations fortes. Les autres adeptes étaient des explorateurs passionnés, compétents mais discrets. Aujourd'hui, la plongée spéléo se transforme. Les stages, les publications des commissions permettent à tous les amateurs de connaître les techniques de cette activité hors du commun. L'encadrement est assuré par des plongeurs possédant une expérience suffisante, de même que le monitorat n'est accessible qu'aux plus compétents. Les moniteurs de plongée mer, lorsqu'ils ne possèdent pas de titre en plongée souterraine, sont clairement exclus de l'enseignement, non par sectarisme mais parce que cette discipline nécessite des connaissances techniques spécifiques. De nombreux films tournés au cours d'expéditions modifient, eux aussi, l'image de la plongée souterraine dans l'esprit du public. Les surhommes, héros d'il y a quelques années, cèdent la vedette à la cavité ou à l'aventure humaine d'une équipe. Les sites du Lot, contenant des restes fossilisés de dinosaures, la plus grande grotte du Portugal ou les sources du Maroc tiennent tour à tour la vedette. Le plongeur devient l'explorateur privilégié, mais certainement pas un aventurier. Bien sûr, ce changement de mentalités a suscité une pratique nouvelle. Les explorateurs du début sont toujours là. Ils sont souvent le moteur de l'activité. Mais à leurs côtés, des plongeurs souhaitent simplement savourer la beauté des cavités noyées. Ils représentent actuellement plus de la moitié des stagiaires en perfectionnement et la plupart des plongeurs des stages "découverte". Au sein de la F.F.E.S.S.M., les plongeurs "spéléos" sont certainement les plus avancés sur le plan de la technique, du matériel et de la sécurité. Leurs expériences sont riches d'enseignements qui peuvent être transposés et adaptés aux situations auxquelles nous pouvons être confrontés en plongée mer.
En Europe, ils ne sont que ... 600 !
Ils sont 300 en France, 50 en Suisse, 10 en Allemagne, 50 en Grande Bretagne, 10 en Espagne, 50 en Italie, 30 en Belgique, 20 en Russie... Bref, sur toute l'Europe, le nombre total de plongeurs "spéléos" ne dépasse pas 600. C'est un tout petit monde, mais un monde qui bouge énormément: études, innovations dans le matériel comme dans la technique, utilisation de procédés révolutionnaires (mélanges, recycleurs), expéditions, tous participent activement. Résultat: les plongeurs spéléos sont actuellement les meilleurs plongeurs Tech du monde! La France et la Grande Bretagne sont les deux berceaux de la plongée souterraine. Les premiers spécimens de cette étrange variété de plongeurs ont commencé à apparaître dans les années 1940 et surtout après guerre. Les Anglais ont donné le départ avec Balcombe et Sheppard, en 1934. Ces deux pionniers ont commencé en scaphandre "Pied lourd", puis sont passés au circuit fermé au Nitrox (déjà...), avant de revenir au circuit ouvert avec le développement du système Cousteau-Gagnan. En France, Guy de Lavaur, en 1947, s'attaqua à la Fontaine de Cahors, lui aussi, en "Pied lourd". Puis ce fut le tour de Cousteau à la Fontaine de Vaucluse. C'est dans les années 1960 que Claude Touloumdjian et Bertrand Léger deux grandes figures de la spéléo, ont développé les règles actuelles. Par comparaison, sachez qu'outre Atlantique, il fallut attendre les années 1960 pour voir arriver les premiers plongeurs spéléo. Ceux-ci ont par contre un avantage indéniable sur nous: ils bénéficient d'un réseau immergé qui se prête tout particulièrement à la plongée de masse. En Floride et au Mexique, de nombreux réseaux présentent des salles immenses, richement décorées, faciles d'accès et ne présentant aucun risque. N'importe quel plongeur moyen peut s'y aventurer, même sans matériel adéquat. Ainsi, on vient chaque année chercher quelques frissons sur des sites aménagés comme des lieux touristiques avec marchands de souvenirs et distributeurs Coca-Cola.
En Europe nous sommes moins gâtés par le terrain: sites difficilement accessibles, mauvaise visibilité. Lors d'une incursion, le premier plongeur bénéficie de l'eau claire (à condition qu'il ne remue pas la vase), alors que les suivants ne voient plus rien. L'intérêt de ces sites sur le plan touristique est donc nul. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à se faufiler dans ces conduits étroits...
Qu'est ce qui les y attire ?
Traçons tout d'abord le portrait type d'un plongeur spéléo: il a en général entre 30 et 40 ans et affiche plusieurs années de pratique avant de devenir un "bon". Les motivations sont diverses et il est intéressant de connaître leur nature pour combattre plus efficacement le stress auquel on est exposé au fond des boyaux. Ce peut être la curiosité, qui peut provoquer une sorte de fascination, le goût de l'aventure et de l'exploration, ou encore le plaisir d'être dans l'eau, de diversifier les sensations et de voir de belles choses. Ce peut être aussi un désir de record, un besoin de reconnaissance ou bien l'attrait de la dimension technique de l'activité. L'aspect mental est très important, comparable à la pratique des arts martiaux. La rigueur nécessaire en plongée spéléo développe une bonne santé mentale qui se retrouve ensuite dans la vie quotidienne. Henri Juvenspan, autre grande figure de la plongée souterraine, dresse un inventaire sans concession, mais non dénué d'un certain sens de l'humour, des motivations qui poussent un jour le plongeur moyen à aller voir ce qui se passe sous terre:
"Certains essaient la spéléo pour dire "j'y suis allé". Parmi ceux-ci on trouve plusieurs catégories: - Ceux qui ne sont jamais revenus, qui se sont fait promener sous terre pour se glorifier auprès des autres membres de leur club. Ce sont des "petits". Ils sont légions. - Ceux qui ne sont pas revenus, qui restent discrets parce ce qu'ils n'y ont pas vu d'intérêt ou ont eu peur et ont eu la sagesse de ne pas renouveler l'expérience, ceux-là ont droit à notre respect. Ils sont louables d'avoir essayé. - Certains ont apprécié, plongent pour leur plaisir; ce sont des "touristes", ils ne cherchent pas l'exploit, ils sont quelquefois incompris ou pire, méprisés des "pionniers", ceux dont le but est la première (l'exploit) ou rien, qui les prennent pour des parasites des siphons, qui encombrent et qui troublent l'eau. - Je ne dirai presque rien de ceux qui courent après les diplômes, les titres, la gloire, ils parlent assez pour eux-mêmes.
Nous trouvons dans cette activité un loisir; une thérapie du stress, une philosophie de la plongée, une façon d'apprécier l'existence, de voyager. Et puis, la grande raison, le grand fantasme (le premier qui me contredit, je le traite de menteur), c'est la chasse au trésor; la recherche du jardin secret, la quête du paradis perdu. Chacun d'entre nous espère trouver quelque trésor extraordinaire, que lui seul est le premier à découvrir. C'est sans doute ce qui motive les amateurs de "première" à tout prix; la grotte ornée, les concrétions qu'il est le premier à éclairer; la grotte géante, un nouvel Aven Armand un nouveau Lascaux...
Quelle joie extraordinaire a dû ressentir le découvreur de la tombe de Tout Ankh Amon!
Henri Cosquer a dû ressentir la même impression."
Du matériel et des techniques de pointe.
A plongée spéciale, matériel particulier. Pas question d'utiliser un équipement classique pour s'aventurer sous terre, où la moindre panne pourrait être synonyme de catastrophe. Ici, tout est prévu pour que l'aventure se déroule bien, jusqu'au retour.
La motivation première de toute activité spéléologique est l'exploration la plus complète possible d'un système karstique ou hydrogéologique. Cette exploration suppose la mise en oeuvre de techniques adaptées aux obstacles rencontrés. La plongée en fait partie. On distingue deux approches de la plongée souterraine:
- La plongée de résurgence. L'exploration s'effectue uniquement en plongée; les limitations à la pénétration sont la plupart du temps imposées soit par la profondeur soit par la distance atteinte. Des considérations topographiques (profil, étroitesse, turbidité) peuvent aussi intervenir rendant les mètres de "première" de plus en plus chers.
- La plongée de fond de trou et post-siphon. L'exploration est conditionnée par la mise en oeuvre de techniques mixtes, plongée et spéléo. Les limites à la pénétration sont alors imposées par les difficultés de transport de matériel, en relation directe avec la morphologie de la cavité. En revanche, une fois les siphons franchis, on peut explorer à l'air des galeries vierges.
En cas de présence de plusieurs siphons successifs, on peut prévoir des bouteilles relais afin de pouvoir continuer l'exploration au-delà des obstacles.
L'équipement type: imposant !
Le principe de base est de doubler tout l'équipement vital.
La combinaison employée n'est pas forcément une combinaison sèche comme on pourrait le penser, l'eau des nappes souterraines étant particulièrement froide. A cela, plusieurs raisons: un néoprène humide de 7 ou 8 mm est moins fragile et plus pratique dans les cas de progression post-siphon au sec. De plus, il est suffisamment chaud pour résister à une immersion de faible durée. Dans les conditions extrêmes, le port d'un vêtement sec peut s'avérer indispensable, notamment en eau très froide, pour les plongées de longue durée et pour les longues décompressions. Toutes les bouteilles sont séparées, avec pour chacune détendeur et manomètre. Car le principe de base est de doubler tout l'équipement vital. On prévoit un code de couleur pour trouver le manomètre qui correspond au détendeur utilisé, car dans le cas d'une plongée avec trois, quatre, voire cinq bouteilles, il faut pouvoir retrouver facilement les éléments qui vont ensemble. Les robinetteries sont protégées par un arceau qui leur évite les chocs contre parois des cavités et facilite le portage. La connexion au détendeur se fait par un système DIN, plus sûr que l'étrier traditionnel de la plongée mer. Le détendeur typique de la plongée spéléo est le Cyclon 300 de Poséidon. Son premier étage, compact et léger est célèbre pour sa robustesse à toute épreuve. De plus, le deuxième étage se démonte sans outil, ce qui est très appréciable quand on doit faire de la mécanique en fond de trou. Des détendeurs plus sophistiqués, quoique un peu moins solides, sont néanmoins utilisés, surtout sur les premiers siphons. Le scaphandre de base est le plus souvent composé de deux bouteilles (c'est le minimum). Si hors de l'eau, il peut être porté couplé (gros scaphandres dans les premiers siphons ou petits scaphandres plus faciles à transporter dans les galeries entre deux immersions), tous les systèmes sont permis grâce à des cerclages acier, sangles, harnais latéraux, bouteilles additionnelles fixées au harnais, ... Les scaphandres sont toujours très impressionnants: 2 x 18 litres, voir 2 x 20 litres, soit environ 55 à 60 kilogrammes de matériel. Celui-ci peut atteindre 80 à 90 kilogrammes si l'on ajoute une ou deux bouteilles ventrales. Un tel équipement permet une plongée "moyenne", soit 1 h 30 environ sous l'eau. Pour une plongée de 3 heures, on prévoit des bouteilles de base relais sur le parcours, plus des bouteilles de paliers. Au-delà de 3 heures d'immersion, on installe, si les conditions l'autorisent, une cloche de décompression qui permet au plongeur de faire ses paliers les plus longs au sec, limitant ainsi l'hypothermie.
Le souci premier: l'autonomie.
L'autonomie est un facteur primordial en plongée souterraine. Là plus qu'ailleurs, en cas de panne d'air toute remontée directe à l'air libre est tout simplement impossible: un plongeur qui se trouve dans un siphon, au fond d'une étroite galerie, à plusieurs centaines de mètres de l'entrée et plusieurs dizaines de mètres de profondeur, sans visibilité, n'aurait aucune chance de pouvoir s'extraire vivant de ce piège s'il venait à tomber en panne d'air. La règle de base est celle dite "du tiers". On partage la quantité d'air disponible au cours de la plongée en trois tiers: le premier tiers pour la consommation à l'aller, le deuxième tiers pour le retour et le troisième tiers en réserve. Dans la pratique, on respire donc un tiers de la contenance de chaque bouteille que l'on emporte. Quand le premier tiers de chaque bouteille est utilisé, on fait demi-tour. Dans ce cas, même si l'une des bouteilles vient à tomber en panne, il reste encore deux tiers de la deuxième, voir des suivantes (sur une configuration lourde). Et en spéléo, les pannes sont fréquentes à cause des graviers qui viennent se loger dans le mécanisme des détendeurs; c'est pourquoi la plongée en mono-bouteille est rigoureusement interdite. A propos de la gestion de la consommation, Christian Thomas, président de la commission de plongée souterraine Ile-de-France, précise:
"La règle du tiers n'est pas une règle absolue, et elle doit être adaptée aux circonstances de la plongée. Dans certains cas, le retour peut s'avérer plus difficile (turbidités, manque de visibilité...). Il faut donc évaluer les critères de consommation avant l'immersion, ce qui exige une parfaite planification de la plongée. On saura ainsi, en fonction de la distance à parcourir et de la profondeur à atteindre, combien de bouteilles il faudra emporter."
Le fil d'Ariane: cordon ombilical.
En plus des instruments classiques en plongée, tels que montre, profondimètres (ou ordinateurs), compas, on trouve encore des outils spécifiques au séjour en milieu souterrain; le fil d'Ariane et son dévidoir ainsi qu'un sécateur, pour pouvoir couper le fil d'une seule main. Le fil d'Ariane est certainement l'élément le plus caractéristique de la plongée spéléo. Durant toute la progression dans le siphon, on déroule cette ligne de vie, et cela même si le siphon est clair vaste et non labyrinthique, car le palmage soulève souvent un véritable nuage de boue et de particules en suspension (la touille). En quelques secondes, une eau très claire peut devenir complètement trouble, rendant la progression au retour impossible sans fil guide. Le plongeur emporte donc toujours avec lui un rouleau servant au conduit principal, plus un dévidoir supplémentaire, plus petit, pour l'exploration des galeries annexes.
Cependant, si le fil d'Ariane représente la sauvegarde du plongeur il est en même temps son plus grand ennemi, car le risque d'emmêlement est un danger permanent. La pose du fil nécessite donc une formation particulière et elle est réservée aux plus expérimentés. Le fil est marqué tous les dix mètres avec des étiquettes indiquant la distance et le sens de la sortie. Ces indications doivent être reconnaissables sans visibilité. Car ce n'est pas tout d'avoir un guide, il faut encore savoir où il vous emmène! Dans les siphons où les crues sont très violentes, on remplace souvent le fil par de la corde spéléo ou du câble d'acier gainé de plastique, sur lequel le plongeur peut se déhaler ou bien fixer des bouteilles relais. On ne peut pas conclure ce chapitre sur le matériel sans parler de ce qui fait l'image typique du plongeur spéléo: son casque garni d'une multitude de lampes. L'éclairage comprend un phare principal d'une puissance de 20 watts au minimum.
Ce phare est alimenté en général par une ou plusieurs batteries que le plongeur porte à la ceinture, à la place du plombage traditionnel. Les autres lampes que l'on peut voir accrochées de part et d'autre du casque sont des éclairages de secours, à piles ou à accus. On en compte deux ou plus, totalisant une autonomie obligatoirement supérieure à la durée de la plongée. A tout cet équipement électrique s'ajoute souvent un éclairage à acétylène pour les galeries exondées (en dehors de l'eau). Le casque doit pouvoir supporter toutes ces lampes, généralement fixées par des élastiques (le fameux système-D français...). Accessoirement, il protège aussi la tête des blessures contre les parois. La plongée spéléo se pratique souvent en solo. En cas de problème, un éventuel équipier ne pourrait pas porter une assistance efficace et ne ferait que créer des problèmes supplémentaires. Le plongeur doit apprendre toutes les manoeuvres pour agir seul.
Pas de brevet!!
Les spéléos ne veulent pas de brevet. A part les moniteurs et les initiateurs, les adeptes de la plongée ne veulent pas d'une progression sanctionnée par des diplômes. Pour eux, l'obtention d'un brevet donne une fausse impression de sécurité. Ils préfèrent une formation sans courses aux diplômes. Les capacités s'acquièrent avant tout par l'expérience!
La formation du plongeur spéléo se fait en plusieurs niveaux.
1er niveau: découverte du milieu dans un siphon école présentant peu de difficulté. Durée un week-end et demi. Le stagiaire est formé aux techniques de sécurité.
2ème niveau: perfectionnement. Durée une semaine (3 heures théorie par jour). Passage de siphons plus difficiles; pose de fil d'Ariane; pose de relais; recherche de fil.
Compagnonnage: le stagiaire participe à des sorties et des expéditions. Il acquiert ainsi son autonomie. Par la suite, différentes formations spécialisées sont possibles: plongées aux mélanges, topographie, expéditions "fond de trou" (très physiques), utilisation de bouteilles relais, de scooters, décompression sous cloche, réchauffement par argon ou CO2...
Tentative de "pointe" comment ça se passe ?
Si la plongée balade peut être organisée dans le quart d'heure qui précède l'immersion, une exploration en plongée souterraine de longue durée (dans le jargon: une pointe) ne s'improvise pas. C'est un travail de longue haleine qui peut s'étaler sur plus d'un an... Un an de galères pour quelques heures d'une intensité extrême.
L'organisation et la préparation de pointe dépend surtout de la cavité et des prétentions des participants, dans les limites du raisonnable et du réalisable. Lorsque l'on a jeté son dévolu sur un réseau, il faut apprendre à mieux le connaître. En plus d'une recherche bibliographique très poussée, lorsque cela est possible, il va falloir quérir tous les renseignements colportés par les familiers du site. Si le plongeur ne connaît pas le siphon, il est indispensable qu'il y plonge au moins une fois. Il peut ainsi recueillir des renseignements tels que les conditions d'accès, le portage extérieur et souterrain, la température de l'eau, le courant, les étroitures, la visibilité... En fait, une foule d'indications qui vont aider aux différentes préparations psychologiques, techniques, physiques, humaines et financières.
La préparation, partie intégrante de la plongée.
Le but étant fixé, il faut ensuite définir les moyens et obtenir les éventuelles autorisations. Puis il faut procéder à différents préparatifs. Tout d'abord, choisir les gaz à employer durant la progression et la pointe (air Nitrox, Trimix ou binaire). De ces choix dépend la procédure de décompression la plus adaptée et la plus sûre. C'est à ce moment que l'on doit déterminer les tables et l'utilisation éventuelle d'une cloche de décompression. Vient ensuite l'estimation du timing de la plongée de pointe. En fonction de cette donnée, on va pouvoir calculer la consommation prévisionnelle des différents gaz (pour la progression, la pointe, le retour et les paliers). Traduire le tout en bouteilles (nombre et tailles), les disposer sur le parcours en tenant compte d'une large marge de sécurité pour répondre aux impondérables, et en particulier prévoir un retour à la palme en cas d'utilisation d'un scooter. Il faut ensuite établir un inventaire prévisionnel du matériel indispensable, puis évaluer avec précision le nombre d'équipiers, leurs qualités requises pour le portage aller et retour du matériel, les plongées préliminaires et l'assistance pendant la plongée de pointe. Les dates et la durée des opérations doivent être planifiées en fonction des meilleures conditions météo et des possibilités de chacun des membres de l'équipe. Le plus délicat reste ensuite à chiffrer financièrement l'opération, sans risquer l'attaque cardiaque à la vue du chiffre impressionnant qui apparaît au bas de la colonne. Pour que cette préparation soit faite avec le maximum de rigueur elle doit être considérée comme partie intégrante de la plongée, comme un réel plaisir et non pas comme une corvée. Cette longue étude transporte longtemps à l'avance dans le vif du siphon et prépare mentalement pour le jour J. Entre l'étude de faisabilité et la date de l'explo, le plongeur de pointe devra effectuer un long travail, en maintenant une certaine pression sur ses coéquipiers, histoire de nourrir la motivation des uns et des autres et en partageant avec eux les tâches les plus lourdes. Travail ingrat entre tous: la pêche aux finances, qui ne marche qu'accompagnée d'une campagne médiatique. Cet aspect n'est pas le plus attractif de l'aventure, mais c'est le seul moyen d'arriver à ingérer 10000 francs de gaz en une seule plongée. Une fois l'équipe et le matériel opérationnels, le pointeur doit, lui aussi, être prêt psychologiquement et physiquement. Un "décrassage sportif" n'est pas à exclure pour les plus sédentaires et la multiplication des plongées de reconnaissance le mettront en confiance. Il doit se familiariser avec le siphon, le faire sien. C'est pourquoi le remplacement impromptu du plongeur de pointe lors d'une opération importante est toujours très problématique.
Jour J, heure H: le suspense.
C'est seulement à ce stade de la préparation que l'on peut commencer à envisager des plongées préliminaires, que ce soit pendant les week-ends précédant la pointe ou juste quelques jours avant. Ces plongées très importantes doivent être confiées à des plongeurs particulièrement compétents. D'autre part, il est important que le plongeur de pointe y participe activement pour parfaire sa préparation. Ces plongées préliminaires ont pour but d'installer ou de vérifier le fil d'Ariane, de matérialiser les points relais, éventuellement de mettre en place la cloche à paliers, de déposer toutes les bouteilles relais à leurs emplacements respectifs. C'est pendant ces préparatifs que l'on pourra mettre la dernière touche à l'équipement et s'adapter au nouveau matériel. Une plongée importante ne doit jamais être banalisée; même si le plongeur en est à sa énième pointe dans le même réseau, il faut rester vigilant et intransigeant sur les problèmes de sécurité. La concentration, la rigueur, le sérieux et les capacités techniques du plongeur de pointe doivent être à la hauteur de l'investissement humain et matériel de l'opération. Le grand jour, quand le plongeur est au bord de la vasque, le facteur psychologique est vital pour la bonne réussite de l'immersion. Le calme permet une concentration optimale. Le plongeur se sent rassuré si ses coéquipiers l'aident pour sa mise à l'eau. Ce petit geste contribue à la détente du stress présent avant toutes les grandes plongées. A ce moment, il est encore temps de renoncer, un plongeur peu en forme ou trop stressé augmente considérablement son exposition à tous les accidents physiologiques. Il n'y a aucune honte à reconnaître sa méforme ou sa peur. Demain sera peut-être plus propice. Pendant toute la progression, le spéléonaute est seul et devra tout gérer lui-même. Auparavant, il aura eu soin de doubler tous ses instruments vitaux et de soigner particulièrement son vêtement: le froid est redoutable dans les longues immersions. Il doit être parfaitement concentré et aux aguets, prêt à déceler toute anomalie. Le moindre incident signifie retour immédiat. Dans l'euphorie de l'exploration, le spéléonaute ne doit en aucun cas dépasser les limites qu'il s'est préalablement fixées, ni en durée, ni en distance, ni en profondeur sous peine de graves problèmes d'autonomie ou d'accident lié à la narcose, à l'hyperoxie ou à la décompression. Dès l'arrivée du spéléonaute dans la zone des paliers, un plongeur de soutien vient aux nouvelles, une ardoise à la main. Sur celle-ci, de nombreuses questions sur les résultats de l'exploration, la durée de décompression et surtout les problèmes éventuels. Bien souvent, le plongeur de pointe ne peut répondre par écrit, le froid ayant partiellement engourdi ses membres. En surface, tout le matériel de secours est prêt pour une éventuelle intervention d'urgence. L'assistance se prolongera au-delà de la sortie du plongeur. En effet, après une telle exposition à la saturation, tout effort lui est rigoureusement interdit. Une opération réussie sera une plongée sans aucun accident et où toute l'équipe aura l'impression d'avoir, elle aussi, exploré le siphon vierge en compagnie du plongeur de pointe.
Paul Poivert avec la collaboration de l'équipe "Syphon".
Magasine "Octopus". N 2 Juin - Juillet 1996.
"Plongée et Spéléo", Secours.
Cette organisation regroupant des spécialistes de haut niveau de la plongée spéléo est une association qui dépend de l'U.B.S. (Union Belge de Spéléologie). Ces secouristes hors du commun interviennent dans les accidents souterrains, sur appel des pouvoirs publics. Dans plus de 50 % des cas, ils arrivent à sortir un accidenté vivant. Leur principe: ils cherchent tant qu'ils n'ont pas trouvé le corps. Un jour, ils ont découvert le cadavre d'un accidenté qui avait survécu pendant 27 jours avant de périr au fond d'une galerie. Mais au contact de l'eau la durée de survie est en général très limitée et nécessite donc une intervention rapide dans des conditions extrêmement stressantes.
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